Tolérance et fraternité
Tolérance et fraternité sont ce que nous appelons des thèmes récurrents. S’ils sont ainsi, c’est que dans le quotidien, ce qu’ils qualifient comme vertus, attitudes ou comportements ne sont pas vraiment pratiqués. Seulement, pour être applicables, elles doivent être comprises. C’est pour cela que nous les regarderons d’un point de vue différent de ceux que nous avons coutume d’entendre ou de lire. Osons donc changer de perspective.
Tolérance
S’il est un domaine où la notion de tolérance est très parlante, c’est en mécanique.
Schématiquement, il s’agit d’une imprécision acceptable, parfois voulue, données aux dimensions d’usinage. Ce qui détermine cette imprécision mais aussi la délimite, c’est l’utilisation finale de la pièce ouvragée. Sur cette pièce, il y aura une tolérance générale et des tolérances plus strictes, particulièrement là où cette pièce devra s’ajuster avec d’autres éléments pour le fonctionnement correct et durable de l’ensemble.
Un bon mécanicien sera donc un ouvrier soigneux, rigoureux, précis, qualités qui seront acquises par une longue pratique. Plus l’expérience professionnelle sera grande, plus la précision sera garantie et la tolérance respectée.
Ce qui est vrai pour le mécanicien l’est aussi pour les autres métiers. Le pharmacien lorsqu’il pèse une substance active et que dire du chirurgien en salle d’opération.
Dans les sociétés humaines, semblablement, les tolérances sont des marges de manœuvre, des écarts de fonctionnement supportables.
Toutes les constitutions, règlements, codes et statuts définissent un cadre, donc des limites. Le dépassement de ces limites conduit à des sanctions ou au rejet.
L’élasticité aux écarts que les sociétés humaines acceptent dépend du mode de société et de la masse des individus. Le cadre est établi pour inclure le plus grand nombre, la marginalité est toujours minoritaire.
Une société qui veut intégrer tous les éléments devient alors contradictoire parce qu’elle cherche à intégrer aussi ceux qui s’opposent à son cadre. Dans cette démarche, elle devra repousser ses limites au risque de perdre ses repères et de se déstructurer. Donc de se décomposer. La déréglementation conduit à l’absence de règles, à se mettre hors la loi.
Dans ce cas, on ne peut plus parler de tolérance mais de sa disparition. Elle est remplacée par le laxisme qui est de la tolérance pervertie. Les sociétés modernes sont exemplaires sur ce point. La faillite de l’utopie égalitaire est nette.
Par contre, au niveau de l’individu et de petits groupes, les tolérances réapparaissent, elles sont parfois très serrées.
Dans les sports extrêmes les tolérances sont très étroites, il n’y a pas place pour l’erreur. La sanction est rapide, parfois définitive. Le funambule a une tolérance infime, il reste sur le câble ou il tombe
Dans les petits groupes, c’est le centre d’intérêt partagé qui définit les limites de fonctionnement. Les écarts sont sanctionnés, plus souvent les éléments réticents s’éliminent d’eux-mêmes.
Plus exigeante est la recherche intérieure ou spirituelle. Elle impose une très grande attention et une permanente présence à soi, ce qui est très difficile. La pratique va conduire à une diminution des écarts possibles de telle façon que, pareillement à l’équilibriste, il n’y a plus de faux pas acceptable. La tolérance tend vers zéro.
Quelle que soit la règle du chemin entrepris, elle est toujours stricte et rigoureuse. Sa fonction est que la voie doit être parcourue parfaitement. C’est à dire que ce sont les actions qui doivent être parfaites, indépendamment du but recherché qui est lui Parfait par nature. Il y a identification à l’objectif.
La tolérance ne s’exprime alors que dans l’acceptation que pour un même but, le chemin pour y parvenir puisse être différent. Chacun suit son propre chemin et n’a à répondre que de son parcours.
La tolérance dépend donc du but poursuivi. S’il s’agit de l’Idéal, la tolérance sera très étroite parce que l’écart éloigne immanquablement. La tolérance n’est donc jamais large comme on est tenté de le croire et ne doit pas être confondue avec le « laisser faire » qui dépend lui de paresse, d’une absence de références ou plus simplement d’Idéal.
Fraternité
« Ne faites jamais à autrui ce que vous ne voudriez pas qu’il vous soit fait. »
Ce premier principe de la morale nous fait appréhender l’autre comme un autre soi-même et donne les bases de ce que deviendra la fraternité. La relation qui se crée entre les hommes ne peut pas être fraternelle si ce principe n’est pas respecté de part et d’autre. Il est impossible qu’une relation dominant - dominé soit fraternelle.
Simultanément, ce principe génère une tolérance proche de zéro parce que l’injonction est catégorique, elle ne donne pas le choix.
Ce qui délimitera la tolérance c’est uniquement la certitude que les conséquences dues à l’écart au principe étaient ignorées. La tolérance agit ainsi pour permettre l’amendement et le pardon.
Par contre, quand l’acte est commis par récidive ou en connaissance de cause, il devient intolérable et rompt la relation de fraternité.
La relation de fraternité se brise également lorsque la tolérance s’élargit jusqu’au niveau du « laisser faire ». Le laxisme ne peut pas être fraternel parce qu’en acceptant que l’autre dérive trop du principe admis, on ne fait pas acte de fraternité mais d’indifférence. Crûment dit, on se fout de ce qu’il devient. La fraternité qui nous lie à l’autre est là pour lui épargner le moindre faux pas et réciproquement. La fraternité a donc la solidarité pour corollaire, la progression se fait par soutien mutuel mais surtout pas dans l’assistanat qui est de l’entraide pervertie.
Dans le partage, la fraternité devient le révélateur de nos faiblesses et de nos vertus. Elle nous offre le champ d’expériences nécessaires à l’amélioration de chacun. Vouloir que l’autre soit, même si parfois une certaine force ou révolte se manifeste. L’admonestation exhorte au dépassement, c’est une manifestation de fraternité et de générosité. Il faut la voir ainsi.
Du point de vue où nous nous sommes placés, nous avons découvert que la tolérance ce n’est surtout pas accepter tout et n’importe quoi et que la fraternité ne peut fleurir entre les hommes que lorsque la relation est respectueuse de l’autre et œuvre pour son bien. Fraternité et tolérance ne sont accessibles qu’à l’homme libéré de ses instincts de violence et d’égoïsme.
Mbx
Article paru dans la revue: Alpina 10, (2004) 258